Geofroy Tory est né à Bourges, la capitale du Berry, vers 1480 dans une famille de paysans modeste.
Bourges était à l’époque une ville métropolitaine et universitaire où se trouvaient plusieurs écoles. Il fut sans doute admis dans les écoles capitulaires où il appris ses premiers éléments de grammaire. Ses travaux intellectuels sont dédiés à un chanoine de l’église métropolitaine de Bourges, qui était son mécène.
Tory se perfectionna ensuite à l’Université où il eut comme professeur Guillaume de Ricke, un Flamand (aujourd’hui appelé Le Riche en français et Dives en latin). Il eut pour camarade un certain Herverus de Berna, de Saint-Amand.
Il quitta ensuite momentanément sa ville natale pour achever son éducation littéraire en Italie. Ce contact italien détermina sa voie ultérieure. Il s’attarda surtout à Rome et son collège appelé la Sapience (le savoir). Il ira ensuite à Bologne suivre les cours de Philippe Béroal. Tory revint en France peu avant 1505 et se fixa à Paris, plein de son savoir nouveau, de son humanisme enthousiaste. Le premier travail que nous connaissons de lui est une édition de Pomponius Méla, qu’il prépara pour le libraire Jean Petit en 1507. Cet ouvrage fut imprimé dans l’atelier de Gilles de Gourmont car il contenait des caractères grecs. Le livre est dédié à Philibert Babou, valet de chambre du roi de Louis XII. Tory y adopte la devis patriotique civis (citoyen). Protégé de Philibert Babou, Tory ne tarda pas à devenir régent, c’est à dire professeur, au collège du Plessis, à Paris, en 1509.
Geofroy Tory se lie avec des personnages importants : Jean Lallemant, maire de Bourges et Philibert Babou qui est devenu secrétaire et argentier du roi. Entre 1507 et 1511, nous lui connaissons plusieurs participations à des publications d’ouvrages dont nous reparlerons en -II-. En 1511, il semblerait qu’il n’ai rien publié. Cela pourrait s’expliquer par son changement d’affectation. En effet, il quitta le collège du Plessis pour enseigner au collège Coqueret, toujours à Paris. En 1512, il édita un traité d'architecture d'Alberti De Arte aedificatoria et l'Itinéraire d'Antonin. A la fin de ce dernier livre apparaît sa devise civis, mais cette fois dans un monogramme :
La même année 1512, Geofroy Tory devient père d’une petite fille : Agnès (le 26 août). Il s’était marié vers 1510 avec Perrette le Hullin, native également de Bourges. A la fin de l’année, Tory est nommé professeur de philosophie au collège de Bourgogne. En dehors de l’enseignement qu’il fournissait, Tory apprit le dessin (avec Jean Perreal) et la gravure. Ses résultats n’ont pas semblé le satisfaire car vers 1516-1517, il retourne en Italie pour y étudier les formes antiques. Des maîtres italiens «souverains en Perspective, Peinture et Imagerie », eux qui ont toujours «le Compas et la Reigle en la main », il apprit la vertu des nombres, la «divine proportion », les secrets de l'universelle beauté. Parmi ses maîtres préférés : Léonard de Vinci, Donatello, Raphaël et Michel-Ange, mais aussi Léon-Baptiste Alberti et surtout Luca Pacioli et Albrecht Dürer pour leurs recherches dans le domaine de la proportion du corps humain et de la lettre.
Il revient à Paris en 1518, sans le sou. Pour vivre il utilisait ses talents dans la peinture des manuscrits et ensuite dans la gravure sur bois. Cette activité lui procurait une certaine réputation. A cette période, il se disait également libraire. En effet, les deux activités allaient de pair jusqu’au XVIIIe siècle. Il dessina de nombreux cadres servant à décorer les Heures, genre assez lucratif.
Ensuite, il ira s'engager sur la voie de l’imprimerie, qui a dû lui sembler, comme à tant d'autres parmi les esprits du temps, la voie royale de la vérité et du bien. Il se fit employer par Simon de Colines, devenu imprimeur en 1520 après son mariage avec la veuve de Henri Estienne. Tory réalise pour Colines des marques, des lettres fleuries et des cadres. Il fut également chargé de graver les caractères italiques.
Tory fréquentait René Massé son «bon ami frère de Vendôme, chroniqueur du roi ». Ce dernier lui permettra d’étudier de vieux manuscrits écrits en français. C’est alors que Tory commença à s’intéresser sérieusement à la « langue françoise » qui n’était pas vraiment apprécié des savants de son temps. Laissant le grec et le latin, il ne songera plus qu’à faire prévaloir le français partout. Ainsi, après avoir compris les théories italiennes du beau langage et des belles formes, de la beauté qui est vérité d'essence divine, il voulut engager ses compatriotes sur la voie de la vertu pythagoricienne. Il avait l'intime conviction que sa langue maternelle était un outil de pensée aussi précis et aussi souple que le latin, le grec, l'italien, l'hébreu. De surcroît il pensait, comme beaucoup d’érudits de son temps, que le français était issu du grec. Il lui semble donc urgent de «mettre et ordonner la longue françoise à certaine reigle de pronuncer et bien parler ». C'est pourquoi, contrairement à l'usage savant, il écrira en langue vulgaire : « Doncques j'escripray en François selon mon petit stile et langage maternels » et plus loin il dira : «... je suis content estre le premier petit indice à exiter quelque noble esperit qui se evertura davantage ».
Tory ne s'y était pas trompé. Quelques années avant Rabelais, l'inspirant parfois, avant Robert Estienne, le père, puis le fils, vingt ans avant Joachim du Bellay et sa «Défense et illustration de la langue françoise », Tory, «pour décorer sa Nation et enrichir sa langue domestique », montrera le chemin des «grans Champs Poetiques et Rhétoriques plains de belles, bonnes et odoriférantes fleurs de parler et dire honnestement et facillement tout ce quon vouldra ». Tory avait enfin trouvé sa voie.
Le 25 août 1522, sa fille Agnès qui donnait les plus belles espérances meurt à l’âge de dix ans. Dans sa douleur, Tory compose un petit poème latin. On y apprend qu’il avait initié sa fille au latin et aux beaux arts. A la fin de ce poème publié le 15 février 1523, apparaît pour la première fois la fameuse enseigne au Pot cassé que Tory adopte dès lors comme marque de sa librairie et la devise non plus qui remplace civis (voir 3- Les illustrations).
Tory a des intérêts multiples. Humaniste averti, en même savant, philologue, grammairien et dialectologue, il est surtout très sensible à l'équilibre et à la beauté linéaire des constructions graphiques, complément indispensable de la typographie.
Oui, il s'agit bien pour Tory de codifier, de régler, de rationaliser. Mais Tory a le vif sentiment que ces «fleurs de parler » ont besoin d’uns graphie résolument moderne. Il est convaincu qu’il faut abandonner les noirs et crochus tracés Gothiques d'un autre âge, qu’il faut au contraire, s'inspirer des meilleures productions des Alde, de Griffo, d'Arrighi, de Blado. Comme tout se tient dans l’universelle beauté, ne faut-il pas descendre aux sources, chercher dans l'architecture du corps humain, chef-d'œuvre de la création divine, les raisons mesurables de toute harmonie, le secret des proportions heureuses ? Et partant de là, ne faut-il pas moduler, rythmer de la même façon les lettres ?
Tory résume toutes ses connaissances littéraires et graphiques dans un ouvrage, le «Champfleury », dont il choisit le titre «pour la grâce et facilité du nom », et dont le sous-titre dit bien ses intentions : « auquel est contenu Lart et Science de la deue et vraye Proportion des Lettres Attiques, quon dit autrement Lettres Antiques, et vulgairement Lettres Romaines proportionnées selon le Corps et Visage humain ». L'auteur y raconte comment « le matin du iour de la feste aux roys après avoir prins mon someil et repos et que mon estomas de sa lègiere et ioyeuse viande avoit fait sa facile concoctions que lon comptoit MDXXIII me pris a fantasier en mon lict et mouvoir la roue de ma mémoire pensant à mille petites fantaisies, tant sérieuses que ioyeuses, entre lesquelles me souvint de quelques lettres Antiques que iauoys nagueres faicte pour la maison de mon seigneur le trésorier des guerres, maistre Iehan Groslier... » Ce livre capital parut en 1529 avec un privilège pour dix ans. « Est à vendre a Paris sus petit pont a Lenseigne du Pot cassé par Maistre Geoffroy Tory de Bourges/Libraire et Autheur dudict livre. Et par Giles Gourmont aussi Libraire demourant en la rue sainct Iacques a Lenseigne des trois couronnes ».
Bien sûr, l'appareil théorique de Tory semble aujourd'hui très faible. Mais ce qui a résisté à l'usure des siècles, c'est d'abord le ton et ensuite la qualité de ses mises en pages, de ses illustrations et de ses tracés des lettres romaines capitales. Onze planches d'alphabets-types de lettres de forme, de lettres tourneures, de lettres bâtardes, d'alphabets chaldaïque, grec, fantastique et utopique (d'après l'Utopie, de Thomas Morus) terminent le livre.
Tory ne se contente pas de constater l’état du langage de son temps ; il propose des améliorations qui ont presque toutes été sanctionnées par l’usage. Au début du XVIème siècle, la prononciation était difficile à saisir, faute d’accents ; il propose d’en créer : «En nostre langage françois, dit-il, navons point daccent figure en escripture, et ce pour le default que nostre langue nest encore mise ne ordonnee a certaines reigles, comme les hebraique, grecque et latine. Je vouldrois quelle y fust, ainsi que on le porroit bien faire ». L'emploi des accents ne s'imposera que lentement, grâce aux Estienne d'abord, aux Plantin et aux Elzévier plus lard, et ne deviendra qu'au XVIIe siècle. Ailleurs, il propose de remplacer les lettres élidées par une apostrophe, ce qui ne s’était pas encore fait dans le français. Il fait également sentir le besoin de la cédille (cette dernière fut reprise aux imprimeurs toulousains de textes espagnols), qu’on voit apparaître dans les manuscrits français dès le XIIIe siècle, mais que la typographie n’avait pas encore adoptée.
D'ailleurs Tory disposera seulement en 1533, année de sa mort, des fontes typographiques nécessaires pour composer entièrement selon ses théories ; cette année-là il publiera la réédition de l’Adolescence Clémentine… avec certains accens notez... , dont l'auteur est Clément Marot.
L'emploi du français et les moyens graphiques modernes doivent à Tory de nombreuses inventions. «Sa pratique, selon Gustave Cohen, fut décisive dans la révolution de la typographie française entre 1530 et 1540 ».
Il est vrai qu’il n’est pas le premier à avoir voulu l’uniformisation du langage français. Trois siècle auparavant, un Italien, Brunetto Latini, annonçait en tête de l’encyclopédie appelée Trésor qu’il rédigea : « Et se aucuns demandoit por quoi cist livres est escriz en romans selonc le langage des Francois, puisque nos somes Ytaliens, je diroie que ce est por deux raisons : lune, car nos somes en France, et lautre, porce que la parleure est plus delitable et plus commune a toutes gens. »
Tory, le protégé de François Ier
L'année de sa mort, en 1533, Tory fut nommé imprimeur du roi. Si François Ier lui montra de la bienveillance en lui attribuant cette fonction, il lui en montra davantage en le faisant recevoir libraire juré de l'Université. En effet, c'est à l'intention de l'imprimeur, qu'il voulait distinguer, que le roi avait imposé à la Sorbonne la création d'une vingt-cinquième charge de libraire juré. Cette charge d’ailleurs disparut après la mort de Tory quelques temps plus tard.
Nous avons dit précédemment que Tory était non seulement libraire et imprimeur, mais il était aussi relieur. Il a dessiné plusieurs plats de reliure. Sur celle-ci, on remarque le Pot cassé dans sa forme la plus simple :
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